Pour en finir avec l’imposture électorale !

Publié initialement dans La Révolte1 – Avril 2022

Ça y est, nous y sommes (encore)…
Comme tous les cinq ans, les élections présidentielles reviennent et les médias dominants, obnubilés par l’évènement, nous exposent à longueur de journée, leur marronnier quinquennal. La raison invoquée est simple et ne souffre aucune contestation : brave gens, tenez-vous prêts, nous vivons l’ultime étape de la souveraineté du peuple. Le moment le plus intense de la vie démocratique du pays !

Et c’est reparti pour deux tours

Très bien, dont acte. Sauf que nous, anarchistes, affirmons une fois de plus que les élections ne sont pas le lieu réel de l’expression de la volonté populaire, que nous ne nous satisferons pas d’une vie publique se limitant uniquement à une convocation aux urnes. Même si « des gens se sont battus pour ça ».Pour nous les élections n’ont qu’un résultat : la dépossession du peuple de sa capacité à s’organiser, à gérer son existence par lui-même. Confier tout pouvoir à un∙e dirigeant∙e, qu’il∙elle soit président∙e, maire, député∙e ou conseiller∙ère régional∙e, c’est se dessaisir de ses propres affaires, oublier ses responsabilités en mettant son existence entre les mains d’une personne qui, arrivée au pouvoir, n’aura plus en tête que de se maintenir en place… jusqu’à la prochaine fois, jusqu’à la prochaine convocation.

Vous avez dit démocratie représentative ?

En faisant valoir « l’intérêt général », la démocratie représentative (c’est-à-dire le système politique dans lequel les électeurs∙trices choisissent par le vote leurs représentant∙es pour une durée préétablie et sans réel contrôle sur l’exécution du mandat), a toujours eu pour fonction première d’assurer l’ordre social capitaliste, et ne permettra par conséquent jamais la mise en place de politique de rupture.
Structurellement, ce système électoral a fait de la politique une profession et encourage logiquement l’accession au pouvoir d’individu∙es ambitieux∙ses, plus souvent animé∙es par leur soif de pouvoir que par ledit « intérêt général ». Celles et ceux qui aspirent à nous représenter consacrent en réalité tous leurs efforts à leur carrière politique et finissent par ne représenter qu’eux∙elles-mêmes (ou du moins les intérêts de leur classe), quitte à changer de parti, de programme. Tout est permis pour se faire une place au soleil !
De fait, le régime électoral encourage et valorise la démagogie et la manipulation pour se distinguer et récolter des suffrages. Les diverses campagnes électorales finissent invariablement par tourner autour de fausses polémiques et de promesses intenables, au détriment du fond. Pour cette caste de politicien∙nes professionnel∙les, le pouvoir a toujours été un but et non pas un moyen. Pour nous, anarchistes, en raison de la corruption qu’il suppose, il n’est ni l’un ni l’autre et doit logiquement être aboli.
Que seraient-ils∙elles, ces athlètes de la représentation, sans les médias dominants, publics ou privés, participant et profitant de cette bouffonnerie ? Ces médias de masse s’appuyant sur des cohortes de journalistes prétendument neutres mais préférant toujours le spectacle au débat démocratique ?

L’électeur•trice, un•e souverain•e fictif•ive

En France, le suffrage universel direct à deux tours obéit à des règles simples : seules les deux candidatures ayant récolté le plus grand nombre de suffrages passent au second tour, et il faut alors 50% +1 des voix pour l’emporter sur son adversaire. Un système qui garantirait la légitimité de l’heureux∙se élu∙e pour cinq ans (date de péremption de la légitimité. C’est comme ça, c’est scientifique).
Des règles si simples en réalité, qu’elles apparaissent comme évidentes. Tout autre système se voit donc, d’office, relégué au rang de pseudo-démocratie, d’utopie voire d’arnaque.
Dans les faits, le∙la président∙e gouverne avec l’appui de moins de 50% des personnes inscrites sur les listes électorales. Listes desquelles sont écartées automatiquement toutes les personnes de moins de 18 ans ou n’ayant pas la nationalité française.
Rappelez-vous de l’élection de 2017 : Le taux d’abstention a été de 22% au premier tour puis de 25% au second et 9% des votes ont alors été déclarés nuls ou blancs…
En résumé (et c’est là toute la magie du système électoral français), pendant cinq ans le pays a été dirigé par un type choisi par 44% des personnes inscrit∙es sans que personne n’ait rien à redire car « c’est la démocratie ». Et toc !
Ajoutons à cela que 43% des électeurs∙ices ayant voté pour Macron au deuxième tour l’ont fait pour « faire barrage » à Marine Le Pen, vous imaginerez assez facilement que la soi-disant légitimité offerte par l’élection présidentielle nous fasse bien rigoler. La même remarque s’applique pour d’autres élections. En mai 2019, environ 50% des électeurs∙trices se sont abstenu∙es aux élections européennes ; en mai 2017, 51%. Puis 57% au premier et au second tour des élections législatives ; environ 65 % d’abstentions aux élections régionales et départementales de juin 2021.
Il est clair que les élections ne semblent plus intéresser grand monde et l’abstention, progressant de scrutins en scrutins, casse la légitimité des élu∙es, qui s’en moquent royalement car, rappelons-le : c’est la démocratie.
Ce qui nous est vendu comme étant le meilleur moyen de représenter le peuple et la nation se révèle être, en réalité, un système profondément antidémocratique, n’ayant d’autre objectif que de valider le pouvoir qu’exercent les représentant∙es sur leurs concitoyen∙nes, prétendument en leur nom et pour leur bien.
On pourrait d’ailleurs questionner l’idée selon laquelle il est légitime que la majorité décide pour tous et toutes de ce qui est Vrai, Juste et Bien… L’histoire est pleine d’épisodes durant lesquels une majorité d’individu∙es a fait des choix funestes pour le reste de l’humanité tandis qu’une minorité s’y opposait. Il ne devrait exister aucune obligation politique ou morale d’obéir à des gouvernements qui tirent leur pouvoir d’une simple majorité de suffrages !
Enfin, n’oublions pas non plus que, en temps de paix, la plupart des décisions déterminantes pour la population se prennent aujourd’hui au sein des grandes institutions financières et économiques mondiales telles que la Banque mondiale, le FMI, l’OMC ou et l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP). En temps de guerre, c’est encore un autre sujet… Ce sont donc bien les élites économiques, au service d’un système mondial dominé par la loi du marché, qui mènent le jeu et réduisent à néant le poids des votes individuels.
Dans ces conditions à quoi bon chercher encore à élire des dirigeant·es ou des représentant∙es qui ne dirigent ni ne représentent plus grand-chose à part leurs intérêts ?

La propagande électoraliste

Les moyens déployés dès l’enfance (pensez aux élections des délégué∙es de classe), pour persuader la population que la participation aux élections représentatives est la seule expression légitime de la souveraineté populaire, sont colossaux !
Les critiques culpabilisantes, dénigrantes ou les propositions visant même parfois à punir les abstentionnistes ou à rendre le vote obligatoire poussent davantage ces dernier∙ères à voter pour accomplir un devoir civique (ou pour avoir la conscience tranquille), que par désir ou espoir d’influencer la vie politique…
De fait, le sens même de l’acte de voter (contre lequel nous n’avons rien dans l’absolu) s’en retrouve perdu ! Encore une fois, on voit bien comment le système électoral ne cherche pas l’expression d’une volonté populaire ni l’engagement de la population mais seulement à légitimer le pouvoir. Et rendez-vous dans cinq ans.
Parmi les arguments culpabilisants à l’encontre de l’abstention, on entend très souvent qu’il faudrait voter, ne serait-ce que pour honorer la mémoire de celles et ceux qui ont donné leur vie pour le droit de vote. Ce à quoi, les anarchistes pourraient répondre qu’on peut aussi opter pour l’abstention par respect pour d’autres qui ont sacrifié leur existence pour défendre la démocratie directe !
L’autre reproche principal fait aux abstentionnistes, est de favoriser la prise de pouvoir d’un∙e candidat∙e qui représenterait une menace pour la société (typiquement Zemmour ou Le Pen). Il faudrait voter « au moins » contre celui-ci ou celle-là. Peut-on sérieusement prétendre voter pour défendre une noble cause sans accepter d’endosser la responsabilité pour toutes les mauvaises décisions politiques que prendra ce même gouvernement ? Sans compter que la fameuse technique du barrage n’a jamais empêché les président∙es tout juste élu∙es de reprendre les politiques sécuritaires et nationalistes du ou de la candidat∙e ainsi empêché∙e par un tel élan citoyen… L’honneur est sauf, le barrage a tenu une fois de plus.

L’abstention et au-delà : agir plutôt qu’élire

Pour nous, anarchistes, l’action directe individuelle et collective est bien plus légitime et efficace que le vote dans le cadre des élections représentatives. Nous préférons nous engager socialement ou politiquement dans nos quartiers, sur nos lieux de travail ou au sein de groupes militants.
Pour nous, la démocratie directe est la seule véritable expression populaire. C’est pourquoi nous défendons une organisation de la société radicalement différente ! Nous militons pour une autogestion généralisée qui conjuguerait démocratie directe, refus des rapports hiérarchiques, égalité économique et sociale, partage des savoirs et des responsabilités, autonomie et transparence des décisions…
Nous souhaitons fonder un système politique débarrassé du parlementarisme et constitué d’une infinité de lieux de décisions au palier local dans lesquels la population pourrait se réunir et délibérer lors d’assemblées populaires.
Pour les décisions nécessitant une coordination à plus grande échelle, nous proposons un système fédéral permettant aux assemblées locales d’envoyer des mandataires porter leur avis et transmettre l’information à d’autres mandataires qui doivent ensuite se rapporter à leurs assemblées locales et ainsi de suite. Dans ce système, les représentant∙es n’auraient pas le pouvoir de prendre des décisions au-dessus des assemblées locales qui conserveraient en tout temps la possibilité d’approuver de nouvelles propositions, et de destituer au besoin.
Une vision tout à fait différente de ce que nous offre la démocratie représentative dans laquelle les mandats ne sont qu’exceptionnellement révoqués et bien évidemment jamais impératifs !
Ces réflexions ne datent pas d’hier, elles ne sont ni utopiques ni fraîchement sorties d’un esprit immature. Elles sont le produit d’intenses réflexions philosophiques, économiques et politiques largement documentées. Nous les mettons en pratique dès que nous le pouvons et quand elles font l’objet d’une expérimentation à grande échelle, il se trouve toujours un pouvoir de droite ou de gauche pour se sentir menacé et tuer dans l’œuf l’alternative que proposent les anarchistes depuis plus d’un siècle et demi.
Face à la situation sociale qui s’assombrit de jour en jour, nous rejetons ce système électoral pour ce qu’il représente de compromission et de résignation de la classe laborieuse. Sans égalité économique, l’égalité politique n’est qu’une mystification.

Pour nous, anarchistes, il s’agit plutôt de construire un abstentionnisme actif en créant des rapports de force, en multipliant les contre-pouvoirs, les alternatives concrètes, les formes de désobéissances collectives, les grèves, les occupations et les blocages de l’économie. Car c’est ainsi que l’on parviendra à bâtir les fondements d’une autre société plus juste et plus libre…