Dépassons la question des retraites, bâtissons une société émancipée !


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Avec des milliers de personnes dans la rue depuis le 5 décembre, des appels à la grève générale dans de nombreux secteurs, des actions spontanées et décentralisées partout en France… il est clair que le ras-le-bol est général : la contre-réforme des retraites est le passage en force, le recul social de trop !
Loin de défendre coûte que coûte le système actuel, nous, militant·e·s anarchistes, entendons bien profiter de ce mouvement pour faire valoir nos idéaux basés sur la défense d’une société libre et égalitaire, dans laquelle le travail ne serait pas apprécié que pour son utilité économique.
Quelle serait la place du travail et des retraites dans une société libérée du capitalisme ? Le salariat y aurait-il sa place ?
Bien que les anarchistes se soient depuis plus de 150 ans intéressé·e·s à ces questions, nous ne prétendons pas apporter toutes les réponses – ou pire : un programme applicable à la lettre, mais bien des pistes de réflexion nous permettant d’avancer collectivement vers notre émancipation !

Un système des retraites capitaliste et inégalitaire :

Même s’il repose pour l’essentiel sur le principe de la répartition, notre système de retraites n’est pas pour autant égalitaire. Il lie étroitement la notion de pension de retraite à celle de la productivité du travail. Si je produis de la valeur régulièrement et en grande quantité, j’ai davantage de chances d’être « récompensé » après une vie de labeur que mon voisin travaillant là où la valeur produite est moins facilement quantifiable par les banques. Et que dire de ma voisine qui, elle, a décidé de s’extraire du monde du travail salarié « traditionnel » ?!
Pire encore : aujourd’hui, ce sont les salarié·e·s les plus aisé·e·s qui perçoivent les plus grosses pensions, bénéficient de la solidarité des plus démuni·e·s et recueillent l’essentiel des fruits de la capitalisation existante. Les petits salaires (les plus nombreux et avec l’espérance de vie la plus faible) supportent l’essentiel d’une solidarité dont ils profitent le moins.

C’est dans son ADN : le capitalisme fait passer la rationalité de l’économie avant les vies de celles et ceux qui la font !

Le système actuel de retraites, hérité du Conseil National de la Résistance, est souvent présenté comme « un modèle de redistribution et de protection ». Pourtant, dès la Libération, en livrant les travailleurs et les travailleuses au compromis keynésien-fordiste, c’est bien lui qui les a fait renoncer à toute perspective révolutionnaire, ne remettant plus en cause la propriété privée des moyens de production, les installant dans la consommation et la culture de masse ! Les fameux « acquis sociaux » étaient d’abord des compensations pour l’installation dans nos vies de la domination capitaliste intégrale.
Si ce compromis a pu être accepté, c’est parce qu’au début des Trente Glorieuses, la croissance économique était telle que la valorisation était suffisante pour permettre cette redistribution (relative) des richesses ! Mais cette période de reconstruction, de forte croissance économique et de quasi plein emploi cède, au milieu des années 1970, la place à des tendances économiques nettement moins favorables : stagnation puis dépression.

L’anticapitalisme tronqué de la gauche réformiste :

Aujourd’hui, le seul projet politique de la gauche réformiste est de regretter les Trente Glorieuses et d’espérer que revienne le temps béni de la consommation, du productivisme et du capitalisme triomphant (mais avec des gourdes, des ampoules basse-consommation et des pailles en papier). Nous ne sommes pas dupes de leur projet : leur plan est le toilettage du système et certainement pas la lutte contre l’exploitation par le salariat ! Ils revendiquent seulement le droit d’être des esclaves modernes, enchaînés volontairement contre la promesse hypothétique d’une vie meilleure. En bref, un anticapitalisme tronqué.
Ce discours est au mieux une impasse, au pire clairement dangereux ! Il n’est pas possible de défendre nos retraites et d’en améliorer le système sans rejeter radicalement le capitalisme, sans une intense critique du travail tel que nous le connaissons et bien évidemment, sans sortir du dogme de la croissance.
Pire ! Certain·e·s, se réclamant sans rougir de la « gauche révolutionnaire », proposent d’améliorer le système actuel de retraite par répartition en développant l’emploi et en taxant également le capital, la spéculation et la propriété…
En quoi cela nous permettrait-il d’échapper au productivisme et à la course à la croissance permanente ? En quoi cela permettrait-il de réduire le déficit d’égalité et de justice sociale qui mine notre système actuel de retraite par répartition ?
Cessons de vouloir réformer, améliorer, rendre plus humain ou performant. Il n’y a plus rien à négocier, c’est la structure même du système qu’il faut mettre à terre pour espérer progresser !

Quelques perspectives émancipatrices :

Si on estime que la meilleure défense du principe de répartition réside dans son attachement indéfectible à l’égalité stricte et à la justice sociale, un certain nombre de mesures s’imposent à court terme :
∙  Le même nombre d’annuités nécessaires à la perception d’une retraite pleine, pour l’ensemble de la population, sans distinction
∙  L’abaissement de l’âge de départ à la retraite
∙  Des pensions permettant de vivre correctement et dont le montant serait le même pour tous et toutes.
Mais même avec ces mesures, le système des retraites resterait toujours couplé au travail et au salariat. C’est pour- quoi ces acquis sociaux doivent être considérés comme une étape court-termiste vers l’abolition du salariat et du travail comme contrainte. Nos retraites – et donc la solidarité humaine, ne doivent pas reposer sur la foi en la sainte croissance économique d’un système à l’agonie. Il faut en finir avec cette idéologie mortifère à laquelle ni les sociétés humaines ni notre environnement ne survivraient !
Nous luttons pour une société dans laquelle tous les êtres humains auront le droit et les moyens de vivre libres : la collectivité financera intégralement les retraites des travailleuses et travailleurs et le travail (hormis les tâches pénibles qui seront collectivement partagées) sera libre et le salariat aboli.

« Que faire pour sortir de l’impasse ? »
Eh bien ! il nous semble qu’il n’y a qu’une réponse à cette question :
– Reconnaître, et hautement proclamer que chacun, quelle que fût son étiquette dans le passé, quelles que soient sa force ou sa faiblesse, ses aptitudes ou son incapacité, possède, avant tout, le droit de vivre ; et que la société se doit de partager entre tous sans exception les moyens d’existence dont elle dispose. Le reconnaître, le proclamer, et agir en conséquence !

Pierre Kropotkine, La conquête du pain, 1892

Saisir l’occasion :

Nous sommes devenu·e·s les rouages d’une machine qui nous dépasse et dont le seul objectif est la valorisation économique à tout prix. Il est urgent de trouver les moyens de s’en extraire en dépassant le travail, l’argent, la valeur et la production de marchandises comme formes structurantes de « notre » société.
Le mouvement actuel contre le projet de casse des retraites arrive dans un contexte bien particulier, celui des Gilets jaunes, de la Loi travail, de l’état d’urgence et de la militarisation de l’espace public, de la prise de conscience écologique, de la casse du service public, de l’accentuation de la guerre faite aux pauvres… autant de signes témoignant de l’agonie d’un système prêt à tout pour se maintenir et briser les résistances.
C’est pourquoi nous devons nous organiser à la base pour obtenir le retrait de la contre-réforme des retraites. Mais également prendre le temps de réfléchir et de construire des solidarités pour repenser une théorie critique du capitalisme. Cesser les journées d’action ponctuelles pour construire un mouvement solide et continu afin de nous rencontrer, discuter, échanger afin d’engager un débat sur la remise en cause du travail, de l’argent et de la valeur comme formes structurantes de « notre » société. Sortons enfin de l’économie !
Organisons-nous enfin pour empêcher tout retour à la normale. Paralysons les centres économiques, scientifiques et politiques. Refuser le travail c’est bien, mais le dépasser comme forme structurante de la vie en société c’est mieux !

AU-DELÀ DES RETRAITES,
RÉFLÉCHISSONS SUR LE SENS DU TRAVAIL SALARIÉ :
ABOLISSONS-LE !