Critique anarchiste de la réforme des retraites


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Le système de retraite par points est une horreur : plus qu’une casse du système de solidarité nationale, pire qu’une attaque en règle des droits des travailleur•ses, cette réforme des retraites pourrait bien être la dernière !
En se drapant dans les habits de la simplification, de la défense de l’égalité et de l’universalisme, le gouvernement entend masquer le fait que son projet consiste en un changement complet de paradigme. Malgré les enfumages nous ne sommes pas dupes : cette réforme est emblématique du macronisme et de son idéologie néolibérale. Lutter contre elle, c’est lutter contre le projet de société que nous promettent les capitalistes.
Bien que très insatisfaisant, le système actuel de retraite par répartition est cependant plus avantageux pour les travailleur·ses que dans bien d’autres pays. En effet, ce système par annuités garantit, dès l’âge légal de départ à la retraite, un taux de remplacement* de 50 % dans le régime général et de 75 % dans la fonction publique pour une carrière complète définie par un nombre d’années cotisées. Toutefois, ce système ne fait que reproduire les fortes disparités qui existent entre les salarié·es et qui se retrouvent dans le calcul des pensions. Depuis 1993, la vague successive de contre-réformes n’a fait qu’amplifier l’injustice structurelle de ce système en durcissant les conditions d’obtention de la retraite à taux plein**, en faisant baisser le montant des pensions et en reculant l’âge légal de départ à la retraite. Pourtant, le projet de retraite à points que va tenter de nous imposer Macron n’est pas qu’une simple contre-réforme de plus du système des retraites en France : c’est la fin de la logique de solidarité et de justice sociale, basée sur une redistribution des richesses produites en direction des personnes qui n’avaient pu acquérir que peu de droits à une pension.


* Le taux de remplacement représente l’écart entre la pension de retraite et le revenu à la fin de la carrière.
** Pour pouvoir partir à la retraite à taux plein (c’est-à-dire sans décote) à compter de l’âge légal, il faut avoir cotisé un certain nombre de trimestres en fonction de l’année de naissance.

LES POINTS ESSENTIELS DE CETTE CONTRE-RÉFORME :

L’ARNAQUE DU PERMIS DE RETRAITE À POINTS

Avec le système par points, les cotisations serviraient à acquérir des points tout au long de sa vie active. Au jour de l’âge légal du départ à la retraite, qui existerait toujours, le montant de la pension serait calculé en multipliant le nombre de points acquis par ce qu’on appelle la « valeur de service ». Le prix d’achat du point serait fixé à 10 euros et la valeur de service du point, au moment du départ en retraite, serait de 0,55 euros de retraite annuelle.
Avec ce nouveau système, il n’y a ni taux de remplacement garanti ni notion de carrière complète, donc pas de visibilité sur la pension. De plus, la valeur de service tout comme le prix d’achat des points pourront être réajustés chaque année par les gestionnaires des caisses de retraite. Cela signifie en réalité que le montant des pensions pourra baisser, ainsi que son mode d’obtention, selon le bon vouloir du gouvernement et du capital, le tout sans avoir à repasser par une nouvelle contre-réforme sur le sujet.
Autre recul : le calcul de la pension prendrait en compte l’ensemble de la carrière, même les périodes « heurtées » (formation, chômage…), et non plus les vingt-cinq meilleures années de salaire comme c’est le cas aujourd’hui dans le régime général, ou les six derniers mois, comme dans la fonction publique. De plus, il n’y aura aucun taux de remplacement garanti, pas de notion de carrière complète et donc mécaniquement pas de taux plein.
Toute période non travaillée entraînerait donc une réduction de la future pension. Les personnes ayant eu des périodes de chômage non indemnisé ou de temps partiel, des carrières courtes, des bas salaires, en bref des personnes précaires, seraient de fait encore plus sanctionnées !

L’AUGMENTATION DES INÉGALITÉS HOMMES/FEMMES

D’une manière générale, les inégalités entre femmes et hommes s’aggraveront. En moyenne, les femmes perçoivent actuellement une pension inférieure de 25 % à celle des hommes or ce sont majoritairement elles qui effectuent des carrières heurtées (maternité, temps partiels…). Le système de point entraînera mécaniquement un accroissement des inégalités entre les hommes et les femmes. Pourtant le gouvernement affirme que le nouveau système permettra d’attribuer des droits familiaux dès le premier enfant. Or, il existe déjà une majoration de 10 % de la pension pour 3 enfants et plus, à quoi il faut ajouter les majorations de durée d’assurance (MDA)* attribuées pour tout enfant. Celle-ci attribue, au régime général, 6 annuités pour 3 enfants. Les trimestres de MDA s’ajoutent à ceux cotisés au titre de l’emploi et ils contribuent à augmenter le montant de la pension.
Avec le nouveau système, il serait prévu une majoration de pension de 5 % par enfant. Mais cette majoration remplacerait à la fois les MDA et la majoration de 10 % pour 3 enfants et plus. De fait, cela constituerait une baisse du taux de pension, déguisé en soi-disant « meilleure prise en compte des droits familiaux ». En souhaitant harmoniser les dispositifs de réversion, le gouvernement restreint son accès. Ce droit à réversion ne sera ouvert qu’à partir de 62 ans, alors qu’il est aujourd’hui de 55 ans au régime général et pour la plupart des régimes, de 50 ans pour l’Ircantec et qu’il n’y a pas de seuil d’âge pour la fonction publique. Le droit à réversion serait supprimé pour les personnes divorcées ou remariées (pour les divorces intervenus après 2025).
Sachant que les femmes représentent 90 % des bénéficiaires des pensions de réversions en France, ce sont encore elles qui sont les principales victimes de ces reculs.


* Il s’agit de trimestres d’assurance supplémentaires, attribués aux parents de façon forfaitaire.

LE RECUL DÉGUISÉ DE L’ÂGE DE DÉPART À LA RETRAITE

Le nouveau système de retraite laisse en théorie la possibilité de partir à l’âge légal de 62 ans, mais il introduit un âge pivot de 64 ans en dessous duquel le montant des pensions de retraite ferait l’objet d’une décote de –10% à 62 ans et de –5% à 63ans. Inversement, une surcote est prévu pour un départ après 64 ans, voire même plus tard encore puisque les années de travail supplémentaire permettent de bénéficier d’un bonus de 5 % par an dans le calcul de sa retraite. L’âge pivot sera l’un des leviers du nouveau système, au même titre que la valeur de service du point et celle du point à l’achat.
Sous couvert de liberté, les travailleur•ses n’auront pas d’autres choix que celui de reculer leur date de départ à la retraite sous peine de recevoir des pensions bien trop faibles ! Cette prétendue liberté de choisir, entre partir ou continuer à travailler pour acquérir des points supplémentaires, se réduit à peu de choses. En effet, on sait que la moitié seulement des personnes sont encore employées au moment de liquider leur retraite, et que l’usure professionnelle survient bien avant l’âge de départ dans de nombreux métiers. Autrement dit, le travail est pénible – et certains mêmes plus que d’autres – (n’en déplaise à Macron) et, avec un tel projet, cette pénibilité se prolongera sans limite.

LA FIN DES RÉGIMES PARTICULIERS DANS LA FONCTION PUBLIQUE

L’argument du « régime unique » et de l’universalisme utilisé comme une massue par le gouvernement masque un propos bien plus cynique : la fin des régimes particuliers c’est la fin de la prise en compte de la pénibilité de certaines professions. Autrement dit, tou·tes les salarié·es seraient tiré·es vers le bas, avec perte de leurs droits. Pour 5 millions de fonctionnaires, la prise en compte de toute la carrière dans le système de retraite par points, au lieu des six derniers mois, entraînera une baisse des pensions. Il est donc prévu que les primes soient intégrées dans le calcul, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.
Rien ne garantit que leur intégration suffise car tout dépend de leur montant et dans de nombreux métiers, il n’y en a pas ou peu. De plus, la prise en compte des primes dans le calcul des cotisations fera nécessairement baisser les salaires des fonctionnaires. En pointant du doigt les régimes particuliers, le gouvernement cherche à diviser les travailleur•ses ! Ne tombons pas dans ce piège grossier et exigeons de meilleures conditions pour tous•tes !

LE RISQUE DE L’OUVERTURE À LA CAPITALISATION DES RETRAITES

Le plan du gouvernement intègre également l’ouverture à la capitalisation. Sur la tranche de salaire mensuel supérieure à 10 000 euros brut, on ne cotisera plus dans le système commun ; ces hauts revenus devront souscrire une épargne retraite en placements financiers, qui donnera droit à des avantages fiscaux et donc payés par tous les contribuables. Au fond l’objectif dissimulé derrière cette mesure est de pousser les personnes aux gros revenus à se constituer une retraite complémentaire auprès d’assurances privées. Jusqu’ici, le budget des retraites échappait aux marchés de la finance. Mais avec ce nouveau système, c’est terminé. La baisse des pensions va inévitablement contraindre les travailleur•ses à se constituer une retraite par capitalisation avec tous les risques que cela comporte (baisse de l’action, krach boursier, détournement frauduleux…).

UNE SOI-DISANT AUGMENTATION DU MINIMUM DE RETRAITE

Selon le gouvernement le minimum de retraite serait porté à 85 % du SMIC net, soit 1000 euros, pour une « carrière complète ». En réalité la « loi Fillon » de 2003, prévoyait déjà la mise en place du minimum retraite à 85 % du SMIC net au plus tard pour 2008 ! Ce qui n’a évidemment jamais été réalisé.
Mais en plus, avec le régime par points, il n’y aura plus de notion de carrière complète et pour une carrière incomplète, ce montant serait proratisé. C’est donc là encore un effet d’annonce.

LE PLAFONNEMENT DES DÉPENSES ANNONCE UNE NOUVELLE
BAISSE DES RETRAITES

La décision du gouvernement de plafonner les dépenses de retraite à enveloppe constante qui devrait correspondre à la dépense actuelle de 13,8 % du produit intérieur brut (PIB), fait redouter une nouvelle baisse des pensions. En effet, dans le contexte actuel de baisse des dépenses publiques, il y a un risque de régression très important.
La décision de plafonner le poids des retraites par rapport à la richesse produite, alors que la proportion de retraité•es dans la population va augmenter, revient à programmer l’appauvrissement de ceux•elles-ci !

FIN DE LA GESTION PARITAIRE DU SYSTÈME

Pour gérer ce système de retraite, le gouverne- ment propose la création d’une caisse nationale de retraite universelle qui sera chargée de la gestion opérationnelle. La gouvernance de cette caisse serait assurée par un conseil d’administration composé de 26 administrateurs : 13 représentant·es des assuré·es désigné·es par les organisations syndicales et 13 représentant·es des employeurs désigné·es par les organisations professionnelles représentatives. Encadré par le Parlement et le gouvernement, ce conseil pourra se prononcer sur les leviers tels que la détermination de l’évolution des retraites, de la revalorisation de la valeur du point, de l’évolution de l’âge du taux plein, des taux de cotisations et de l’utilisation des réserves financières.
Toutefois, c’est bien le gouvernement qui décidera des suites qu’il entend donner à ces propositions via l’établissement du budget.

CE QUE VEUT LA FÉDÉRATION ANARCHISTE :

Pour nous, militant•es anarchistes à la Fédération Anarchiste, il ne s’agit pas de négocier avec ce gouvernement afin de contrebalancer cette nouvelle contre-réforme, mais plutôt de s’inscrire dans un rapport de force, celui de la lutte des classes, qui permettra de lui imposer l’abandon total et définitif de l’ensemble de ces orientations fatales.

Depuis 1993, la succession de contre-réformes, menaçant directement les droits des personnes salariées, nous a obligé à adopter systématiquement une posture de résistance face aux attaques répétées du patronat et de l’État, à l’encontre de nos retraites.
Cependant, gardons à l’esprit que le régime de retraite actuel est issu du « compromis » d’après-guerre sanctionnant la défaite du prolétariat dans son objectif révolutionnaire d’abolition du salariat, des classes et des inégalités sociales.
En effet, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, la peur d’un soulèvement de la classe ouvrière a contraint la classe dirigeante des pays occidentaux à lui proposer ce « compromis ». Si elle acceptait de renoncer à un changement radical du système, elle pourrait jouir d’une vaste gamme d’avantages sociaux. Il ne s’agit pas de minimiser ces acquis sociaux, mais, il faut bien constater qu’à partir du début des années 1980, le contenu du « compromis » a changé avec l’offensive néolibérale. Elle avait pour objectif – et eu pour résultat – de refondre les relations salariales et de briser le cadre de négociation avec le patronat comme avec l’État. Le compromis et la négociation sont désormais impossibles.
Désormais, le seul horizon possible est un affrontement social et politique, une lutte âpre et sans merci contre l’État et le capitalisme dans la mesure où les bases possibles d’un compromis entre l’oligarchie capitalistes et les travailleur·ses ont disparu, si tant est qu’il ait jamais existé…
Il s’agit donc de réfléchir à un projet politique de dépassement du travail salarié et de la production industrielle à grande échelle en diminuant la durée des activités inutiles et nuisibles afin de dégager du temps libre à consacrer individuellement à nos réels désirs, et collectivement à l’organisation autogérée de notre société débarrassée des impératifs de l’économie politique socialement et écologiquement destructeurs.
La Fédération Anarchiste aspire à une société libérée de toutes les institutions politiques et sociales coercitives faisant obstacle au développement d’une humanité libre. Elle vise à l’amélioration du niveau de vie des travailleur·ses en menant des luttes éminemment politiques, révélatrices d’un projet de société débarrassé du capitalisme et d’une autre forme d’organisation sociale stricte- ment égalitaire, car il est clair que les injustices sociales tiennent du régime capitaliste.
Nous n’attendons rien de l’État. Nos exigences sont  claires : l’émancipation des travailleur·ses, l’abolition des classes sociales, l’égalité stricte, la justice sociale et l’autogestion de la société.
Si nous nous efforçons d’abolir l’exploitation capitaliste existante, nous œuvrons également au sein de celle-ci à la diminution du taux de profit des capitalistes et à l’augmentation de la part qui revient aux travailleur·ses. De ce point de vue, la lutte contre le capitalisme doit être parallèlement une lutte contre toutes les institutions de l’État, car le pouvoir politique étatique n’est que la conséquence du monopole capitaliste et de la division de la société en classes. L’État est le garant de cet ordre social inégalitaire que nous souhaitons détruire.

Pour la Fédération Anarchiste, cet horizon de luttes doit prendre la forme collective de l’action directe et notamment celle de la grève générale !